À l’ère de l’achat de biens et services par Internet, les métiers traditionnels et artisanaux reviennent au goût du jour en apportant une touche de nouveauté, grâce à l’intégration des tendances et de la technologie dans une période post-industrialisée.
L’artisanat est à la mode. Face à l’uniformité de la production industrialisée, le public recherche désormais l’exclusivité et l’émotion que dégagent les pièces artisanales. Mais qu’appelle-t-on artisanat ? La réponse à cette question divise aujourd’hui. Comme le souligne Anna Champeney, l’artisanat va au-delà du travail manuel. Sinon, les magnifiques couvertures et écharpes qu’elle confectionne avec son métier à tisser numérique ne seraient pas considérées comme des pièces artisanales.
Nous avons tendance à penser que l’artisan est une personne qui travaille seule, dans son atelier, appliquant de ses propres mains des techniques anciennes, élaborant des objets grâce à sa maîtrise et respectant la noblesse des matériaux. Mais c’est de plus en plus rare. Ce nouveau millénaire a vu naître les artisans 3.0, qui tirent profit des avantages apportés par les outils numériques pour obtenir des pièces de meilleure qualité. La définition traditionnelle de l’artisanat donnée par l’Unesco, à savoir « Produits fabriqués par des artisans, soit entièrement à la main, soit à l’aide d’outils à main ou même de moyens mécaniques, pourvu que la contribution manuelle directe de l’artisan demeure la composante la plus importante du produit fini » est clairement dépassée.
Artisans 3.0 : el nouvel artisanat
« L’artisanat commence dans l’esprit de l’artisan, pas entre ses mains ». C’est par ces mots qu’Anna Champeney résume le changement qui s’est opéré dans le concept de l’artisanat, mettant en avant l’aspect de « création » à l’origine du processus, ce qui sous-entend penser, explorer, réfléchir à tout ce qui à trait aux matériaux. « Pour moi, le mot artisanat désigne au sens large l’idée de la création de pièces et l’incorporation de techniques artisanales comme une partie indispensable du processus d’expression des idées. » Mais cela va au-delà des produits qui utilisent des méthodes artisanales, puisque ça touche aujourd’hui des grandes marques et concepteurs industriels qui emploient des techniques et philosophies artisanales pour façonner leur collection.
Pensons aux objets qui sont le fruit d’un voyage créatif personnel : mode, mobilier, bijoux… Mais cette tendance va au-delà et vient s’assoir à notre table. Le pain au levain et les bières artisanales envahissent les quartiers les plus cosmopolites des grandes villes. Un grand nombre de ces petits artisans sont aujourd’hui présents sur le marché grâce à l’apparition du Web. « Internet favorise sans aucun doute la visibilité mais reste un outil de plus », souligne Arturo Álvarez, concordant avec Anna Champeney, qui considère qu’il est primordial de travailler plus et mieux pour qu’il devienne une « alternative aux salons internationaux ».
Arturo Álvarez : la réussite du fait-main
Qui n’a jamais rêvé de pouvoir illuminer sa vie, ou au moins son salon, avec une lampe d’Arturo Álvarez ? La consécration internationale de ce galicien met en évidence que la combinaison de design et fait-main est un franc succès, puisque toutes ses pièces sont élaborées par « des artisans experts, avec des années d’expérience en atelier », selon ses propres patrons. « J’ai toujours aimé travailler avec les mains, c’était quelque chose de naturel. Aujourd’hui, il y a des personnes qui aiment les pièces humanisées, avec une âme, qui transmettent de l’émotion, réalisées intégralement à la main ».
Avant d’arriver à ces patrons, Arturo Álvarez s’engage dans un processus créatif qui peut lui prendre des années de réflexion et de tests, qu’il décrit comme suit : « parfois je pars de matériaux quotidiens qui m’interpellent, ou je m’amuse à les mélanger. Les formes et volumes jouent également un rôle dans ce processus, et ces dernières années, la réflexion portant sur l’être humain constitue aussi un point de départ ». Et donc, comment se définit-il ? « Je me sens créateur, tout en étant concepteur et artisan de part les domaines d’activité professionnelle dans lesquels j’évolue. De mon point de vue, la dénomination n’a pas d’importance, ce qui compte, c’est plutôt la façon d’aborder le travail ».
Pour lui, le fait d’avoir rencontré le succès depuis Vedra, un petit village de Galice, n’a pas non plus d’importance, « il faut travailler avec passion, croire en ce que l’on fait, et s’entourer d’une équipe professionnelle et motivée ». Originaire d’un autre village, Anna souligne que cela lui permet d’incorporer cette façon de vivre « dans des produits qui racontent leur propre histoire ». Images, sujets, objets… l’origine de l’inspiration peut se trouver partout. « Nous, les créatifs, sommes un amas d’expériences accumulées tout au long de la vie, tout est ici en nous et s’agrandit et se nourrit d’un nombre considérable de sources ».
La combinaison de « techniques ancestrales, qui reposent sur des expérimentations faites par nos ancêtres durant des centaines d’années et qui méritent tout notre respect » à un langage contemporain est l’un des piliers de sa réussite, en plus de « la perception d’un travail sérieux et cohérent durant de nombreuses années ».
Fait-main numérique : technologie et travail artisanal
Lucy Johnston est l’une des plus grandes partisanes de l’association de techniques ancestrales et numériques dans la production d’objets uniques « qui n’auraient pas pu être créés uniquement à la main ou avec une machine ». Cette journaliste anglaise a parcouru le monde pendant 18 mois à la rencontre de ces nouveaux artisans 3.0 afin de les présenter dans son livre « Digital Handmade » (Thames & Hudson, 2015). Il regroupe quatre-vingt artistes comme le belge Wim Delvoye, l’australienne Valissa Butterworth ou la britannique Nadia-Anne Ricketts, qui incarnent la réaction contre la révolution industrielle, qui a méprisé le rôle de l’artisan, en combinant dans leur travail la précision des technologies numériques et l’émotion que savent si bien transmettre les techniques artisanales traditionnelles.
« Beaucoup de personnes pensent que le simple fait d’utiliser un ordinateur, c’est tricher », a déclaré Lucy Johnston lors d’une interview pour Wired, « mais il faut des milliers d’heures de travail spécialisé pour créer la pièce finale ». Voilà ce que nous a expliqué Anna Champeney lorsqu’elle évoquait son métier à tisser numérique, un outil qui lui permet d’exécuter des pièces plus complexes et sophistiquées avec l’aide d’un logiciel de conception, mais qui « n’est pas un métier à tisser automatisé, ça reste comme si c’était un manuel », exigeant le même effort de tissage pour chaque pièce.
Si la combinaison de technologie et d’artisanat peut sembler contradictoire, au vu du résultat, nous pouvons dire que nous adorons les contradictions !