Il y a cent ans, l’architecte allemand Walter Gropius a décidé de fonder une école qui adapte l’art aux besoins de la société. Le Bauhaus s’étendait à toutes les disciplines du design, de la conception industrielle de meubles et autres objets dans ses ateliers de métal, menuiserie, céramique ou tissage, à l’art pictural et sculptural et, bien sûr, à l’architecture. Aujourd’hui, nous faisons un tour à travers l’histoire de l’architecture fonctionnelle et allergique aux fioritures apparues avec ce mouvement artistique qui est toujours, à l’heure actuelle, une référence internationale.
Weimar, l’origine du Bauhaus
Le nom de l’école découle de l’union des mots allemands pour construction (bau) et maison (haus). Avec ce nom et un architecte comme fondateur, il est difficile de croire qu’elle n’incluait pas d’études d’architecture lors de son lancement. Cependant, la construction a toujours été l’un de ses domaines, comme le montre la Haus am Horn (1924), le seul héritage vivant du passage de l’école dans la ville de Weimar.
Cette maison « modèle » ou « maison expérimentale » a été construite en pensant répondre à tous les besoins du citoyen de l’époque et rassemble déjà les principes architecturaux du Bauhaus : formes rationnelles, carrées ou rectangulaires, sans artifice, conçue pour être construite avec peu de moyens et en utilisant des matériaux novateurs. À l’intérieur, elle disposait de l’équipement technologique le plus avancé pour l’époque (chauffage central, laverie…) et d’un mobilier provenant des ateliers de l’école. Ce cube blanc était censé être le début d’une colonie pour loger les enseignants et les élèves, projet qui n’a jamais vu le jour en raison du déménagement de l’école.
Dessau, la splendeur
En 1925, l’école a été obligée de déménager à Dessau et Gropius a décidé de profiter de l’occasion pour créer un bâtiment qui incarne les principes de la Bauhaus. Il s’agit d’un véritable Gesamtkunstwerk, une « œuvre d’art totale », puisque les bâtiments et ce qu’ils contenaient étaient conçus comme un ensemble : il a été décoré par les élèves de l’atelier de peinture murale, l’atelier de métal a créé les accessoires d’éclairage et les lettres de la façade proviennent du design de Herbert Bayer.
Le complexe était composé de différentes sections reliées, chacune dédiée à une fonction : une aile pour les ateliers, une autre pour l’enseignement, et une autre résidentielle pour les élèves. Et sa forme rappelle celle d’un moulin ou d’une hélice. Pour sa réalisation, Gropius a utilisé de nouveaux matériaux, comme le béton armé, et des méthodes de construction innovantes, comme les murs-rideaux en verre.
A proximité se trouvaient les logements des maîtres, parmi lesquels se trouvaient Mies van der Rohe, Marcel Breuer, Josef Albers, Laszlo Moholy-Nagy, Paul Klee ou encore Wassily Kandinsky. Détruits en 1945 par les bombardements de la Seconde Guerre Mondiale, on retrouve ici les formes propres et cubiques, les grandes baies vitrées et la simplicité, également appliquée au design d’intérieur.
L’archive la plus complète de la Bauhaus se trouve à Berlin
Berlin, qui a accueilli les derniers mois de l’école avant que le triomphe du nazisme ne la fasse disparaître, a été la ville élue pour créer le premier musée dédié au Bauhaus, qui expose des travaux issus de ses ateliers, des maquettes, des plans, des photographies… Le Bauhaus-Archiv est situé dans un bâtiment conçu par Walter Gropius dans lequel se distingue son plafond en dents de scie, conçu pour apporter de la lumière naturelle indirecte à la totalité de l’intérieur.
Ce sera en 1933 que l’école fermera définitivement ses portes, moment où le mouvement du Bauhaus se répandra dans le monde entier grâce à ses enseignants et élèves exilés.
Tel Aviv, une ville Bauhaus
C’est en fuyant le nazisme que sont arrivés en Israël l’architecte Hannes Meyer, directeur de l’école entre 1928 et 1930, et un grand nombre d’étudiants qui ont diffusé leur style architectural dans la ville. Les près de 4000 bâtiments construits dans les années 1930 font de Tel-Aviv la ville la plus Bauhaus au monde, appelée « la ville blanche » en raison de la couleur des façades de ces bâtiments.
New Bauhaus : la Bauhaus en Amérique
La New Bauhaus a été un élément clé pour aller de l’avant avec l’esprit du mouvement et diffuser ses idées aux Etats-Unis. Fondée par Moholy-Nagy en 1938 à Chicago, l’école a été le germe du célèbre Illinois Institute of Design en 1949.
Mais s’il y a bien quelque chose que l’on peut trouver aux Etats-Unis, ce sont de grands exemples de l’architecture Bauhaus. Trois de ses créateurs les plus influents y ont atterri : Mies van der Rohe, Walter Gropius et Marcel Breuer. Leur architecture moderne et fonctionnelle triompherait parmi les Américains.
Parmi les œuvres de Mies van der Rohe aux Etats-Unis se démarquent le Campus de l’Illinois Institute of Technology de Chicago (1939-1958), où il était directeur du département d’architecture, et la Maison Farnsworth (1951), une simple structure de métal sur pilotis fermée avec du verre, qui semble flotter dans l’environnement.
Walter Gropius a appliqué les principes de l’école qu’il a fondée à la maison familiale qu’il a construite à Lincoln, Massachussetts, en 1938, lorsqu’il est devenu professeur à Harvard. Le design du mobilier a été réalisé par son disciple Marcel Breuer avec lequel il a collaboré dans d’autres travaux comme la Maison Alan I W Frank (1940) ou la Maison Hagerty (1938).
Breuer s’est ensuite consacré pleinement à l’architecture aux États-Unis, où il a conçu plus de 100 bâtiments comme la Maison Breuer I, dans le Connecticut (1948) ou le siège actuel du MET Breuer à New York (1966), un véritable bâtiment-sculpture.
L’unique exemple de l’architecture du Bauhaus en Amérique du Sud se trouve en Argentine et, malheureusement, en état d’abandon. Le Parador Ariston (1948) construit à Mar del Plata par Marcel Breuer se dresse sur un étage élevé avec des formes courbes inspirées de l’image d’un trèfle.
Le Bauhaus en Europe
Sans même avoir besoin de traverser l’Atlantique, le vieux continent contient lui aussi de bons exemples de l’architecture de la Bauhaus où séjourner durant les vacances.
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L’Espagne
L’un des premiers construits en dehors de l’Allemagne a été le Pavillon de Barcelone, conçu pour l’exposition de 1929 par Mies van der Rohe. Le mobilier de l’intérieur a aussi été créé dans l’école, comme l’iconique chaise Barcelone.
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La République Tchèque
La Villa Tugendhat (Mies van der Rohe, 1930), en République Tchèque, est l’une des plus grandes icônes de l’architecture résidentielle du XXème siècle. Il s’agit d’une œuvre intégrale où, outre la structure en verre, acier et béton permettant d’incorporer de grandes baies vitrées qui remplacent les murs, tout l’intérieur a aussi été conçu, du mobilier aux interrupteurs.
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L’Angleterre
Avant d’arriver aux Etats-Unis, Marcel Breuer a vécu pendant un temps à Londres, où il a conçu le Sea Lane House (1936).
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La France
Parmi les bâtiments de l’architecture Bauhaus situés en France, nous pouvons trouver trois œuvres de Marcel Breuer : le siège de l’UNESCO à Paris (1951), le siège de l’entreprise IBM de La Gaude (1962) et la station de ski de Flaine (1969).
Les femmes au sein de la Bauhaus
Le rôle des femmes au sein de la Bauhaus est un point controversé. L’école est née de la philosophie de l’égalité entre les hommes et les femmes, comme l’avait déclaré son fondateur Walter Gropius (« il n’y a pas de différence entre le sexe beau et le fort. Egalité absolue, mais aussi des devoirs absolument égaux »). Cependant, dans la pratique, les femmes étaient exclues des studios d’architecture, sculpture ou peinture, que Gropius lui-même considérait propres au sexe masculin, tandis que les femmes étaient réduites au domaine du design textile. Tout cela parce que Gropius pensait que les femmes n’étaient pas capables de penser en trois dimensions.
Parmi les premières à se « rebeller », il y a eu Marianne Brandt, qui s’est rendue à l’atelier de métal où elle est devenue la favorite de son directeur Moholy-Haghy, qu’elle a remplacé dans ses fonctions. Il y a aussi eu Alma Siedhoff-Buscher, qui est passée par l’atelier de menuiserie, où elle s’est démarquée avec ses designs pour enfants, qui sont toujours produits aujourd’hui. Plus précisément, elle a inspiré le personnage protagoniste du film Lotte am Bauhaus, qui cherche à rendre visible le rôle de la femme dans le mouvement. Avec le même objectif, la maison d’édition Taschen a publié Bauhausmädels. A Tribute to Pioneering Women Artists, un hommage à ces femmes pionnières de la modernité dans un monde d’hommes.