Comment est perçue la création dans le milieu industriel ? L’industrie, centrée sur la production et les chiffres, peut-elle apporter un regard neuf sur la soif insatiable de la créativité ? Pour trouver des réponses à ces questions, nous avons suivi le collectif néerlandais Envisions tout au long d’un projet de conception expérimentale au cœur de la fabrication de bois technique.
Parfois, on a l’impression que l’usine et la conception parlent deux langues différentes. Production, schémas, chiffres, toile blanche, inspiration… Que se passerait-il si le regard créatif s’invitait dans les installations industrielles pour mettre en marche la refonte de ses processus ? Cette même question s’est posée lorsque l’entreprise de bois Finsa a fait la rencontre du collectif néerlandais de designers Envisions. La réponse, ponctuée de points de suspension, c’est que plus jamais on ne reconsidérera un panneau en bois de la même façon, que ce soit du côté créatif ou industriel, et que la conception est définitivement sortie de sa zone de confort.
« Lorsque les restrictions et les barrières tombent, l’innovation et les surprises surgissent ». Voilà comment la créatrice Aukje Fleur Janssen définit la genèse de cette collaboration entre le fabricant et les concepteurs appelée Finsa by Envisions. « Peut-être bien que, au niveau de la production, seule une gamme naîtra de ce projet et sera ajoutée à la collection de Finsa, mais nous pensons que quelque chose de plus grand est en train d’être fait, et qu’au travers de la conception et de l’expérimentation, nous ouvrons nos esprits. Envisions casse nos schémas et nos règles en tant qu’industrie, pas seulement pour le département de conception, mais aussi pour nos employés, qui produisent des tonnes et des tonnes de produits avec lesquels nous faisons des expériences », résume Adriana Baamonde, coordinatrice de projet chez Finsa.
Les copeaux, les particules ou le papier des panneaux sont transformés dans le cadre de ce projet de conception expérimentale en pièces artistiques qui ont déjà été exposées en 2017 lors des Design Week de Milan, Londres, Eindhoven et New York. Envisions, un groupe intéressé par les processus et le développement d’idées, a esquissé un concept révolutionnaire sur ces scènes : l’interprétation créative d’un processus industriel, sans montrer un produit réellement terminé. « Lors de ces événements, le spectateur s’attend à trouver un objet artistique défini, par exemple une chaise ; tandis que notre exposition a suscité l’inquiétante question que vois-je ? de telle façon que l’effet a eu davantage d’impact dans ce contexte », explique Aukje.
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Finsa by Envisions a vu le jour en 2017 comme une proposition inspirante dans laquelle les douze designers du collectif se sont lancés dans l’interprétation de divers processus et composants des produits en bois technique élaborés par Finsa. Après cette première phase, six d’entre eux ont entamé une deuxième étape dans laquelle ils se sont concentrés à transposer ces premiers prototypes à l’échelle industrielle. « Ce fut surprenant de se mettre à penser en grand par rapport au regard comparativement miniaturisé du studio », explique Aukje. Pour sa part, elle a travaillé avec la mélamine, un produit composé de bois technique et recouvert de papier imprimé.
« Ce produit a l’apparence du bois authentique, et bien qu’il conserve toutes les propriétés du matériau, ça n’en est pas. Dans son processus de fabrication, il y a une partie considérable réalisée à la main, quelque chose qui m’a paru très marquant dans cet environnement industriel », détaille-t-elle. « J’ai pu constater que le papier, qui acquiert ensuite une grande résistance grâce au traitement industriel, est en réalité très fragile et se casse rien qu’en le regardant, raison pour laquelle il nécessite d’être manipulé à la main. Ce concept de fragilité et de qualité rassemblées au sein d’un processus aussi gigantesque qui implique des machines de grandes dimensions m’a beaucoup intéressée. Mettre à l’échelle toutes ces idées à partir de la vision en petit format au studio a été le plus compliqué » , résume Aukje.
Du point de vue industriel, la vision a été totalement bouleversée dès le début. « Lorsque nous avons annoncé aux employés de l’usine que le collectif Envisions allait utiliser le papier, qu’il allait le casser, qu’il allait réaliser un décor et l’imprimer pour créer des pièces artistiques qui allaient être exposées… ils ont halluciné, puisque leur optique est centrée sur les chiffres et la production », commente Adriana Baamonde. Une fois ce premier stade dépassé, les employés se sont entendus avec les designers et leur ont apporté leur expérience pour leur montrer les possibilités du matériau avec lequel Envisions avait imaginé ses idées.
« Je ne connais pas toutes les parties techniques du processus, et donc l’aide des employés des usines de Finsa s’est avérée indispensable pour savoir quelles couleurs allaient ressortir, ou comment réagiraient les matériaux à nos processus », explique Aukje. Ce travail réalisé en collaboration a eu un effet rénovateur chez Finsa. « On a observé, par ailleurs, que cette nouvelle perspective que nous avons instaurée a éveillé les sens de tout le monde, dans l’usine et en dehors, et a apporté un nouveau regard. Nous avons dû accepter de nous soumettre à des essais et rencontrer des échecs, de ne pas obtenir la couleur souhaitée sur le panneau, de changer les plans… Tout cela est une approche en phase avec les principes de Envisions : concevoir par le travail. Il ne s’agit pas de faire un dessin sur un papier et de suivre cette ligne, mais de répondre à quelque chose de vivant qui se passe en ce moment même », commente Aukje.
La première partie du projet Finsa by Envisions a été forgée sous la devise Wood in process. Les travaux ont fonctionné comme un gesamtkunstwerk (œuvre d’art total) dans lequel chaque designer évoquait une partie du processus industriel normalement méconnue du grand public. Cette deuxième phase dans laquelle se trouvent actuellement Finsa et Envisions s’intitule Wood in progress, et ils comptent sur le Salon du meuble de Milan pour faire office de bal d’ouverture. « L’année passée, lors du salon, nous étions sûrs de la direction que nous avions prise », affirment Aukje et Adriana. « Maintenant, nous allons voir l’avancement de ces idées, à une échelle bien plus grande », déclare Aujke. Dans le cadre de cette exposition, ouverte du 17 au 22 avril à Le Officine à Savona (Zone Tortona), un documentaire sera présenté avec des interviews et une sorte de making-off dans le but de montrer cette manière singulière de combiner industrie et conception dans une alliance qui crée un précédent et une manière de partager des projets entre les deux entités.